Juillet 2025
Fig.1

Marimba de tecomates, Chichicastenango (Guatemala), fin 19e - début 20e siècle, inv. 2019.0012
Fig.2

Bolange, Sierra Leone, avant 1882, inv. 0670
Fig.3

Marimba de tecomates, Chichicastenango (Guatemala), fin 19e - début 20e siècle, inv. 2019.0012
Fig.4

Musicien K’iche’ jouant un marimba de tecomates à Chichicastenango, © Robert Garfias
Fig.5

Manza dongere du peuple Zande en RDC au début du 20e siècle, inv. 3220
Fig.6

Joueurs de Marimba à Antiqua, Guatemala, 17 Novembre 2007, © Greg & Annie / Flickr
Fig.7

Marche de Chichicastenango 2009, © Chensiyuan / Wikimedia
Fig.8

Marimba de tecomates, Chichicastenango (Guatemala), fin 19e - début 20e siècle, inv. 2019.0012
Un instrument du Guatemala aux racines africaines
Ce marimba de tecomates (également appelé marimba de arco) du Guatemala fait partie de la collection d'instruments de musique américains du MIM depuis avril 2019. Long d’un mètre et demi, il est arrivé en Belgique au début des années 1980 grâce à des expatriés (fig.1).
Malgré son ancrage dans la culture indienne, l'instrument dissimule difficilement ses origines africaines. Comme le balafon d'Afrique de l'Ouest ou la manza congolaise, il se compose d'une rangée de lamelles de bois accordées posées sur une série de calebasses faisant office de résonateurs, le tout dans un cadre en bois.
L’ensemble est maintenu sans clous ni colle, simplement à l'aide de cordes et de brochettes en bois. De petits trous percés dans les calebasses étaient autrefois recouverts de membranes en boyaux de porc, fixées à la cire, pour créer un effet de buzz sonore (charleo ; voir une technique de timbre similaire sur la bolange de Sierra Leone, fig.2). Des traces de cire d'abeille restent visibles sur les lamelles, utilisées autrefois pour ajuster la hauteur des sons.
Un instrument lié à la culture maya
À l'origine, un grand arc en bois était fixé à l'instrument, permettant au musicien de s’asseoir à l’intérieur pendant le jeu (fig.3). Ce type de position de jeu se retrouve aussi dans la manza du peuple Zande en RDC au début du XXe siècle (fig.5). Un support de bois séparé était également placé sous l'instrument lui-même. L’arc a été coupé plus tard, probablement pour des raisons de transport.
Le marimba de arco fut l’un des premiers marimbas joués en Amérique centrale. L’exemplaire du MIM possède 24 lamelles et autant de calebasses, un nombre classique pour ce type d’instrument.
Le musicien y joue des mélodies simples, aux rythmes traditionnels, généralement lors de fêtes rituelles. Sous l’influence du répertoire européen, les gammes penta- ou heptatoniques ont laissé place à des gammes principalement diatoniques.
De l’Afrique à l’Amérique centrale
Des recherches ont montré que le marimba africain est arrivé en Amérique par la côte pacifique du Costa Rica et du Nicaragua, avant de gagner les hautes terres du Guatemala. Les archives coloniales des XVIIe et XVIIIe siècles attestent de l'importation de nombreux esclaves africains au Guatemala, principalement pour les plantations d'indigo.
Les marimbas de tecomates sont aujourd’hui encore étroitement liés à la culture maya au Guatemala. Les musiciens indiens considèrent toujours cet instrument comme faisant partie de leur tradition ancestrale. Jouer du marimba, c’est communiquer avec les générations passées et cela revêt donc une dimension spirituelle.
Dès 1680, des sources historiques mentionnent le jeu du marimba par les Indiens dans les villages multiethniques (pajudes) autour de Santiago de los Caballeros, ancienne capitale du Guatemala.
Selon Sergio Navarrete Pellicer, la diffusion précoce du marimba dans les communautés indigènes est un témoignage du mélange culturel et racial précoce entre populations africaines, espagnoles et indiennes. Dans ces villages, la danse, la musique et le chant étaient vécus ensemble lors des moments de détente et pendant les fêtes religieuses .
Interdictions coloniales et renaissance nationale
Les autorités coloniales ont perçu les fêtes musicales indigènes comme l’expression de croyances païennes. Elles les ont rapidement interdites, dénonçant leur caractère profane, les danses interraciales et sexuelles, et la consommation excessive d’alcool.
Le marimba diatonique fut donc interdit. Les Indiens continuèrent néanmoins à le fabriquer clandestinement et à le jouer lors de cérémonies secrètes. Même en 1981, le gouvernement guatémaltèque interdisait encore les rassemblements de musique autochtone.
En 1978, le marimba fut proclamé « Instrument National » du Guatemala et le 17 octobre devint le « Día Nacional de la Marimba ». La classe dominante ladino, politiquement influente, s’appropria l’instrument pour en faire un symbole de l’identité nationale.
Toutefois, les racines africaines de l’instrument furent totalement occultées dans ce processus. Le marimba « national » n’était plus le marimba de tecomates, mais une version modernisée et chromatique avec deux rangées de tonalités, jouée par plusieurs musiciens en même temps. Les calebasses furent remplacées par des résonateurs en bois ou en métal.
Ce marimba modernisé, qualifié de « piano en bois », est aujourd’hui interprété dans les hôtels de luxe des grandes villes, par des musiciens costumés en tenues traditionnelles indiennes (fig.6).
Comme l’écrit Navarrete Pellicer, « une grande partie du nationalisme culturel du XXe siècle est motivée par la nécessité de créer l'image d'un Guatemala indigène coloré, attrayant et typique, afin d'attirer les touristes » (fig. 8).
L’exemplaire du MIM
Le marimba de tecomates (inv. 2019.0012) conservé au MIM est un instrument diatonique natif, probablement fabriqué clandestinement et joué dans le cadre d’une tradition ancienne. Dans les années 1970, il était exposé chez un antiquaire sur le marché de Chichicastenango, au cœur des hautes terres du Guatemala, avant d’être acquis par un expatrié belge.
Aujourd’hui, il fait partie de la collection du MIM, accompagné d’un huipil, un poncho indien typique.
Sources :
[1] Navarrete Pellicer, Maya Achi, p. 74
[2] Navarrete Pellicer, Maya Achi, pp. 78-79
[3] Navarrete Pellicer, Maya Achi, p. 238
Bibliographie
- Navarrete Pellicer, Sergio, Maya Achi. Marimba Music in Guatemala, Philadelphia, 2005
- Neustadt, Robert, ‘Reading Indigenous and Mestizo Musical Instruments: The Negotiation of Political and Cultural Identites in Latin America’, Music and Politics i/2 (2007). https://quod.lib.umich.edu/m/mp/9460447.0001.202/--reading-indigenous-and-mestizo-musical-instruments?rgn=main;view=fulltext (accessed 8 January 2019)
Texte : Saskia Willaert
Audio & vidéo
Marimba Ladino : https://www.muziekweb.nl/Link/KHX2047/Chapinlandia-Marimba-music-of-Guatemala
Music in Guatemala: Musical Instruments of Mesoamerica, dir. Alfonso Moises, 2015 (regarder à partir de 14’02”) : https://filmfreeway.com/790186